Logo de Game Design QuestInterview de Nathan Lovato, game designer, auteur de la chaîne YouTube GDQuest  et du site éponyme.
(08/06/2016)

 


Bonjour Nathan, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Salut ! Je suis Nathan Lovato, designer courtois, plus connu sous le pseudo GDquest. Je fais des tutoriels qui tournent autour de la création de jeux vidéo, et en particulier autour du graphisme.


Vous êtes l'auteur d'une série de tutoriels vidéo dédiée au game art avec Krita. Qu'est-ce qui vous a amené à utiliser ce logiciel ?

Poster du tutoriel New Features in Krita 3Tout a commencé il y a un peu plus d’un an maintenant, à partir d’une simple observation : sur Internet, on trouve énormément de ressources pour apprendre à créer des graphismes en 3D, ou pour faire de la peinture digitale de manière générale. Mais les tutoriels propres à la création graphique pour le jeu vidéo manquaient cruellement. Il manquait à mon sens une ressource sérieuse pour combler un vide entre CtrlPaint, CGcookie, Proko, ExtraCredits… une chaîne dédiée à la création graphique pour les jeux en 2D. C’est ainsi qu’est né GDquest, ou Game Design Quest. Une adresse sur la toile où apprendre les techniques que les professionnels du jeu vidéo utilisent.

Mais je ne voulais pas seulement faire des tutoriels sur Photoshop : je voulais montrer aux gens que la création de jeux est aussi accessible à ceux qui ont peu de moyens. À ceux qui n’ont pas la possibilité ou le souhait d’investir dans de gros logiciels commerciaux. Ainsi, mes tutoriels visent à montrer qu’on peut faire un travail professionnel et un travail efficace à l’aide d’outils libres. Des outils qui nous correspondent et qui nous appartiennent.

Krita est un projet open-source mature et à la croissance impressionnante. Cela fait maintenant plus de dix ans que son développement continue. Il est non seulement puissant, mais en plus les développeurs sont à la fois chaleureux et proches de leur communauté.


En quoi vous semble-t-il adapté au game art ?

Krita était à l’origine un éditeur d’images généraliste. Il possède ainsi des outils de retouche flexibles, un flux de production non destructif (calques de filtres, masques de transformation, possibilité de cloner un groupe ou un calque…), un mode wrap-around pour peindre des motifs qui se répètent… mais il reste pensé pour les créatifs qui doivent, comme un artiste de jeux vidéo, créer à partir de rien ou presque.

Cela ne veut bien sûr pas dire que Krita n’a pas de limites ! Comme n’importe quel outil, il possède ses forces et ses faiblesses. Jusqu’à la dernière mise à jour, il était particulièrement lent. Mais certaines de ses fonctionnalités sont introuvables dans d’autres logiciels payants, alors qu’elles sont très utiles. Vous pouvez par exemple peindre en symétrie axiale et radiale, ce qui permet de peindre des motifs riches en un rien de temps !

Krita est aussi simple à prendre en main et agréable à utiliser au quotidien. En plus de cela, de nouvelles fonctionnalités sont ajoutées pratiquement tous les mois, et l’équipe fait des ajouts particulièrement intéressants pour les créateurs de jeux vidéo, comme l’export d’un personnage vers le logiciel d’animation Spriter. Une adaptation de cet export devrait d’ailleurs suivre pour le plug-in d’animation 2D pour Blender réalisé par Andreas Esau : Cut-Out animation tools.

 

« J’utilise Krita et Photoshop côte à côte »

 

Est-il compatible avec les autres logiciels habituellement utilisés dans le développement du jeu ?

Oui. D’ailleurs, Krita peut à la fois lire et sauvegarder des fichiers au format PSD. J’utilise Krita et Photoshop côte à côte, étant donné que ce dernier reste extrêmement puissant pour tout ce qui va toucher au graphic design, à la communication visuelle, mais aussi pour la photographie.

Krita est aussi fourni avec un profil de raccourcis clavier assez proche de celui de Photoshop. Ainsi, on passe facilement de l’un à l’autre, bien que des différences subsistent.


Quels types de créations réalisez-vous avec Krita ?

J’utilise Krita pour les croquis et la peinture sur ordinateur, la création de personnages ou de décors pour le jeu vidéo. Tout ce qui ne touche pas au texte, à la mise en page et à l’export de nombreux fichiers. Mais c’est aujourd’hui mon principal outil d’imagerie digitale.


Quelles sont les fonctionnalités que vous appréciez le plus dans Krita ?

Ce ne sont pas tant les fonctionnalités qui m’ont séduit que l’expérience utilisateur. On ne s’en rend pas compte dès le départ, mais Krita évolue en tenant compte des limites du design d’autres programmes de dessin. Un exemple : dans Photoshop, les outils de dessin vectoriel sont séparés des outils de dessin classiques. Pas dans Krita. Il est aussi possible d’appliquer un filtre à un pinceau. Pas d’outils flous ou netteté : à la place, on prend un pinceau rond que l’on connaît bien, et on lui applique le même filtre de flou que l’on utilise d’ordinaire en passant par le menu de filtres. Les développeurs font très attention à ces détails-là. Des détails invisibles qui font la différence au quotidien.

 

« Krita évolue en tenant compte des limites
du design d’autres programmes de dessin »


Travail en cours sous Krita (Nathan Lovato)


Quels sont les points qui vous sembleraient à améliorer ?

Krita peut être amélioré sur bien des plans. Pour les artistes de jeux vidéo en particulier, il y a une poignée de fonctionnalités qui ont encore besoin d’être affinées aujourd’hui. Par exemple, le système de calques de fichiers (l’équivalent du Smart Object de Photoshop) est très limité. L’outil de transformation libre ne tient pas compte du pivot pour la mise à l’échelle.

Mais ce que j’attends surtout, c’est l’interface de programmation en Python. La possibilité de créer des plug-ins dans le même langage utilisé par Blender et GIMP va à mon avis ouvrir la porte à de nombreux petits studios, dans le jeu vidéo comme dans d’autres domaines. La possibilité de créer ses propres outils est essentielle pour une équipe. Cela permet d’adapter le logiciel aux besoins très spécifiques d’un projet.


Dessinez-vous exclusivement avec Krita ? Ou sinon quels autres logiciels utilisez-vous ? Et qu'est-ce qui détermine l'emploi de l'un ou l'autre ?

Je n’hésite pas à jongler entre les outils, et à tirer parti des forces de chacun. En matière de graphismes, j’utilise à la fois Krita, Photoshop, mais aussi Blender, ou encore Substance Designer, que j’ai encore peu le temps d’utiliser, mais que j’adore ! Et oui, j’utilise bien tout cela pour la 2D.

Pour ce qui est de Substance Designer, je l’utilise par pur plaisir, mais aussi en vue d’incorporer plus de génération procédurale dans mon travail à l’avenir. La génération procédurale, autrement dit la création graphique en l’occurrence à l’aide d’algorithmes, ouvre un champ de possibilités inouïes.

Blender me sert de temps à autre, à créer des bases en 3D par-dessus lesquelles repasser ensuite dans Krita. Quant à Photoshop, je l’utilise avant tout pour la mise en page et la retouche d’images, deux domaines dans lesquels Krita comme GIMP sont trop en retard pour un usage professionnel.


Quel matériel utilisez-vous ?

Je travaille sur Windows, comme la plupart des créateurs de jeux. Windows 10, pour être exact. À côté de ça, j’ai une bonne machine, avec un SSD de 256 Go, un bon processeur, une bonne carte graphique… tout le nécessaire pour travailler confortablement. Je possède aussi deux tablettes Wacom : une Intuos 4 ainsi qu’une Cintiq 13HD.

 

« Dans la mesure où Krita est gratuit,
cela ne coûte rien de l’essayer » (sic !)

 


À qui recommanderiez-vous ce logiciel ?

A tout le monde. Dans la mesure où Krita est gratuit, cela ne coûte rien de l’essayer. Je connais déjà plusieurs artistes 3D professionnels suisses qui l’utilisent en complément d’autres logiciels.


Merci Nathan. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

On enseigne aux gens qu’il est nécessaire de savoir utiliser les plus gros logiciels commerciaux, notamment pour se faire engager dans un studio. De mon expérience, c’est loin d’être le plus important. En tant qu’artiste, on vous embauche avant tout pour la qualité de votre portfolio. Ce qui compte, c’est d’avoir de très bons fondamentaux sur le plan du design, de l’art, et de la compréhension de l’imagerie digitale. Et lorsque c’est le cas, passer d’un logiciel à un autre n’est pas un problème. Il vous suffit alors d’avoir quelques notions du fonctionnement de Unity ou de Photoshop et vous pouvez vous y adapter au moment où vous trouvez un emploi. C’est l’affaire d’une à deux bonnes semaines de travail.

Le fait est que chaque studio de jeux vidéo a un mode de fonctionnement et des outils travail qui lui sont propres : vous allez de toute manière devoir vous former en y entrant. La seule chose qui vous servira toujours, d’une équipe à une autre, ce sont vos fondamentaux en matière de design, et de graphisme. Votre technique artistique en somme.

Ceci étant dit, il est utile de se former aux principaux logiciels utilisés sur le marché si vous souhaitez absolument travailler dans un studio. Mais vous n’êtes pas obligés de vous jeter dès le départ sur Photoshop, surtout si vous débutez. Blender est déjà très utilisé dans le monde de la 3D. Je vous fais le pari que Krita va à son tour se démocratiser auprès des professionnels dans les années à venir.

 

Voir aussi



> Présentation du logiciel Krita

> Livre Dessin et peinture numérique avec Krita de Timothée Giet

> Interview de Timothée Giet, dessinateur de bandes dessinées, contributeur de Krita

> Interview de Anne Derenne, illustratrice presse et jeunesse

> Interview de Camille Bissuel, illustrateur