Entretien avec Arthur Bazin, spécialiste en gestion et manipulation de données géomatiques au sein de l’entreprise Business Geografic et auteur du livre "PostGIS - Tous les ingrédients pour concocter un SIG sur de bonnes bases". Retrouvez-le sur son blog BazinGa's.

[réalisé par Frédéric Renversez, mars 2023]

« J’adore triturer la donnée et me creuser la tête
pour effectuer ces transferts de la meilleure façon possible. »

Bonjour Arthur, tu es ingénieur informatique spécialisé en production de données chez Business Geografic. Pourrais-tu présenter ton parcours, parler de l’entreprise dans laquelle tu travailles et des types de services qu’elle propose ?

Je vis à la montagne, et elle a toujours exercé sur moi une attraction particulière. Je suis aussi passionné par les cartes de randonnée. C’est donc assez naturellement qu’après un bac S, j’ai passé une licence de géologie spécialisée en milieux de montagne à Chambéry, en Savoie. J’ai ensuite obtenu un master « Équipement, Protection et Gestion des Milieux de montagne » au cours duquel j’ai découvert les systèmes d’information géographique (SIG).

Après plusieurs années passées à gérer et à cartographier les risques naturels pour le Département de la Haute-Savoie, j’ai eu l’occasion de rejoindre les équipes de Business Geografic (CIRIL Group) au sein du service client.

C’est ainsi que j’ai pu monter en compétences dans de nombreux domaines en lien avec les SIG, notamment les bases de données, le langage Python et les différentes bibliothèques d’outils permettant le traitement de données spatiales. J’ai notamment passé la certification de Safe Software sur le logiciel FME et poussé mes connaissances sur l’utilisation de PostGIS qui est pour moi l’un des meilleurs outils à la disposition du géomaticien.

Business Geografic est une société française basée à Villeurbanne (Rhône). Nous fournissons entre autres à nos clients un logiciel nommé GEO qui leur permet de concevoir des applications de cartographie web dans le style de Google Maps, sans avoir à rédiger la moindre ligne de code.

En parallèle, nous proposons :

  • des extensions dédiées à certains métiers (la gestion de l’eau, de l’assainissement, du cadastre, des réseaux…) ;
  • des outils de statistiques et diverses autres solutions SIG ;
  • de la formation sur nos technologies ainsi que sur différents outils cartographiques (comme PostgreSQL+PostGIS et FME de Safe Software) ;
  • du conseil et de l’expertise sur la mise en place d’infrastructures spatiales (audit, installation, traitement, paramétrage) ;


Quelles sont tes activités dans le cadre de ton travail quotidien ? Quels sont les principaux outils que tu utilises ?

Au sein du service client, j’ai un poste assez polyvalent qui s’étend de la phase d’avant-projet jusqu’après la réception du produit, lors de la vie de celui-ci.

J’interviens sur des audits de besoins afin d’avoir une définition précise des souhaits du client. Je pratique aussi des audits de données pour avoir une vue d’ensemble des éléments sur lesquels nous pourrons nous appuyer pour mettre en place nos solutions. Cela permet également de déceler des problèmes d’architecture et d’optimiser l’infrastructure du client.

Je m’occupe de l’intégration des données, soit dans nos propres solutions, soit dans un modèle de données spécifique décidé par le client ou conçu par mes soins lors de la phase d’audit. Pour cela, j’utilise surtout le logiciel FME (Safe Software) et la bibliothèque GDAL/OGR. Je crée de plus des scripts d’intégration continue que le client peut lancer par lui-même pour inclure régulièrement de nouvelles données.

J’opère en parallèle de nombreux traitements de données principalement sous PostgreSQL+PostGIS et en particulier avec des fonctions en PL/pgSQL, mais je travaille également avec FME et Python.

Cette partie de traitement des données occupe la majorité de mon temps d’activité et c’est ma tâche préférée. J’adore triturer la donnée et me creuser la tête pour effectuer ces transferts de la meilleure façon possible.

J’interviens aussi sur des phases d’installation logicielle et de paramétrage serveur (notamment sous Linux).

Enfin, je forme et j’assiste les clients sur nos produits, sur PostgreSQL+PostGIS et sur FME. J’aime beaucoup les journées d’accompagnement pendant lesquelles les clients me remontent leurs problèmes. Je tente de leur répondre en les formant sur le sujet et en mettant en place ce qu’ils souhaitent. C’est très challengeant d’un point de vue intellectuel. Le thème n’étant pas préparé, on ne sait jamais ce qui va nous être demandé.

La cartographie,
c'est la face visible de la géomatique


Comment définirais-tu la cartographie ? Dans quels domaines d’application peut-elle être utilisée ?

Si on se réfère au dictionnaire, la cartographie est la réalisation et l’étude des cartes. C’est à la fois la science et l’art de représenter de façon schématique un environnement sur un support. Une autre définition serait « face visible de la géomatique ». En effet, la cartographie se rattache à cette discipline (contraction de « géographie » et « informatique »).

Les géomaticiens parlent communément de cartographie à tout un chacun pour en fait faire référence à la géomatique, car ce dernier terme est très peu connu du grand public.

Au centre de la géomatique se trouve le système d’information géographique (SIG) : l’ensemble des outils informatiques permettant le stockage, l’analyse et la représentation des données.

La géomatique, notamment la cartographie, est utilisée dans de nombreux domaines :

  • la géographie ;
  • les sciences de la terre ;
  • la planification urbaine ;
  • l’aménagement du territoire ;
  • la gestion des ressources ;
  • la géologie ;
  • la météorologie ;
  • les statistiques ;
  • l’analyse spatiale ;
  • la visualisation de données.

Il me semble avoir lu quelque part que près de 80 % des données collectées par les entreprises sont géolocalisées ou géolocalisables (liste des fournisseurs, détail des réseaux de distribution ou liste des clients par exemple). Cela permet d’imaginer le potentiel de ces outils trop souvent sous-exploités, mais qui sont pourtant de véritables atouts quand il s’agit d’aider à la prise de décision.


Quels exemples d’applications peux-tu donner ?

Les exemples les plus visibles sont les cartes de randonnée, votre GPS ou la météo. Tout le monde sait ce qu’est une carte.

Mais beaucoup d’autres applications à la géomatique existent :

  • Le service des impôts recourt à la cartographie (le cadastre) pour connaître la surface de terrain dont vous êtes propriétaire.
  • Le calcul d’un itinéraire sur le site de la SNCF fait appel à la géomatique.
  • Votre service de l’eau utilise la géomatique pour gérer les données en lien avec le réseau d’alimentation (localisation des ouvrages, impact des coupures d’eau, suivi des fuites…).
  • La Poste et les sociétés de livraison reposent leur logistique sur des bases d’adresse géolocalisées. Cela leur permet d’optimiser leurs tournées.
  • Les collectivités et sociétés qui s’occupent des routes (départements, agglomérations, sociétés d’autoroute…) font appel à la géomatique pour gérer leurs réseaux.
  • Les études de marketing (par exemple pour l’implantation d’un nouveau magasin) se fondent sur des données spatiales qui identifient les populations, les flux…

La géomatique peut donc trouver une application dans presque tous les domaines d’activité de notre société, car nous dépendons de notre environnement et nous pouvons donc raccrocher nos données à celui-ci, c’est-à-dire les géolocaliser.

« La géomatique peut trouver une application
dans presque tous les domaines d'activité de notre société,
car nous dépendons de notre environnement »


Quelles sont les différentes sources de données spatiales existantes ? Quelles en sont les modalités d’accès ? A-t-on des difficultés à les exploiter (précision des données, mise à jour) ?

La liste des sources de données spatiales disponibles s’allonge de jour en jour, particulièrement grâce à leur ouverture (leur mise à disposition gratuite) et à l’engouement généralisé pour ce domaine. Ces données sont principalement créées par ou pour des entités collectives (État notamment).

En France, les premiers textes d’accès à la donnée publique datent de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais c’est surtout à partir de 2008 avec la directive INSPIRE puis en 2011 avec la mission Etalab que de nombreuses données ont commencé à être mises à disposition gratuitement pour tout le monde. En 2016, la loi pour une République numérique pose un vrai cadre législatif à l’Open Data.

Ce développement pousse également de plus en plus d’entreprises privées à ouvrir leurs données et à les rendre accessibles à tous. On peut citer quelques exemples :

  • OpenStreetMap (OSM) ;
  • L’Institut géographique national (IGN) ;
  • data.gouv.fr ;
  • Natural Earth ;
  • Our World in Data ;
  • DIVA-GIS ;
  • freegisdata.rtwilson.com

Le problème derrière cette ouverture rapide reste la difficulté, souvent rencontrée, à sourcer correctement l’information (sauf pour les très grandes infrastructures comme l’IGN ou l’OSM). On obtient fréquemment des données pour lesquelles on ne connaît ni la date de création, ni celle de dernière mise à jour, ni d’autres renseignements permettant de s’assurer de leur fiabilité.

Ce problème tend cependant à diminuer avec la prise de conscience croissante de l’importance d’avoir une donnée sûre et à jour.

Comment travailles-tu avec les développeurs pour intégrer les cartes dans les applications ?

En fait, je n’ai pas besoin de développeurs pour intégrer des cartes dans mes applications. En effet, nous proposons un logiciel permettant de le faire sans développement spécifique. Les développeurs se sont déjà occupés de créer notre logiciel pour moi. Il m’arrive cependant de faire un peu de programmation web pour peaufiner l’interface, mais c’est tout. La grosse partie programmation se passe surtout lors de l’intégration des données, mais c’est moi qui la réalise.

En revanche je travaille beaucoup avec notre équipe de développement pour améliorer nos produits. D’une part je remonte les bugs rencontrés et je détaille le contexte de reproduction du problème.

D’autre part je suggère de nouvelles fonctionnalités. C’est une tâche qui tient compte des retours que font nos clients, mais aussi beaucoup de notre propre utilisation du logiciel dans le cadre de la mise en place d’infrastructures. Une partie de ces suggestions provient de la veille que j’effectue afin que nous proposions des solutions conformes aux nouveautés du monde des SIG, particulièrement du côté de la base de données PostgreSQL+PostGIS, mon domaine de prédilection.


Comment vois-tu l’évolution de l’utilisation de la géomatique ? Penses-tu que l’intelligence artificielle peut être mise à contribution pour améliorer les données cartographiques et leur utilisation ?

La géomatique est un champ en plein essor et qui va encore beaucoup évoluer. De plus en plus d’organisations poussent l’utilisation de leur SIG. D’abord cantonnées à la partie cadastre et éventuellement à la gestion des réseaux, les collectivités ont maintenant bien compris les avantages du SIG dans tous les domaines. Le secteur privé quant à lui s’était déjà engagé sur cette route depuis longtemps.

La démocratisation des SIG entraîne un authentique engouement pour les technologies open-source et c’est ainsi que l’on peut voir de nombreux outils extrêmement performants disponibles gratuitement. Cela a aussi pour conséquence leur simplification, car ils pouvaient souvent paraître austères dans leurs premières versions.

L’intelligence artificielle quant à elle est une véritable aubaine pour la géomatique, car elle va permettre d’accélérer les processus de traitement des données.

Pour les phases d’analyse et de détection, c’est un outil qui peut être particulièrement efficace et rapide s’il est bien utilisé. C’est avant tout dans ce domaine que l’IA pourra être utile. Elle pourra notamment autoriser l’automatisation des tâches répétitives, la détection des motifs ou des anomalies dans les données, l’analyse des images satellites et la prédiction des tendances ou des événements futurs.

Cette nouvelle technologie peut faire peur à certains, mais pour moi c’est un vrai bond en avant. L’automatisation de processus répétitifs et chronophages permettra de libérer les opérateurs. Ils seront réaffectés à des travaux plus valorisants et pour lesquels nous avons toujours besoin de monde comme la programmation ou l’exploitation des résultats des traitements effectués.

Je ne redoute d’ailleurs pas d’utiliser l’IA au quotidien, notamment sur un aspect trop souvent négligé : la capacité de l’IA à fournir un workflow de traitement. Par exemple avec Chat GPT, on peut indiquer un point de départ, puis un point d’arrivée, et l’IA détaille les étapes pour parvenir au but. Cela permet d’être plus rapide pour trouver des solutions.

Il faut juste faire attention à bien conserver un certain recul sur le traitement proposé et à toujours analyser celui-ci grâce à notre expertise de géomaticien.

« L'intelligence artificielle est une véritable aubaine
pour la géomatique »


Pour finir, quelles sont les qualités que tu définirais comme indispensables pour exercer ton métier ?

Je dirais : la curiosité, la rigueur et un peu d’humilité.

La curiosité est un véritable atout pour le géomaticien, car celui-ci est sans cesse obligé d’apprendre de nouvelles choses. Les technologies évoluent vite et il doit savoir être attentif à ce qui se passe dans ce milieu.

La curiosité est aussi un vrai moteur d’apprentissage, car elle pousse à essayer. Tous les jours je me pose des questions telles que : « Tiens si je tentais ça, ça donnerait quoi ? », « Pas mal ce script d’un collègue, mais comment il a fait ça ? », « Une nouvelle technologie ? Elle fait quoi ? Comment fonctionne-t-elle ? ».

La rigueur est indispensable ! La cartographie est en effet à la fois la science et l’art de représenter de façon schématique un environnement sur un support. On doit donc travailler sur des données pour les présenter à quelqu’un. La rigueur est de ce fait incontournable pour ne pas corrompre ces informations. Elles sont la matière première du géomaticien, les dénaturer ferait donc perdre tout sens à la cartographie. Par exemple, j’essaie autant que possible de mettre en place des audits durant mes traitements afin de valider les données importées ou traitées.

J’ajouterais que, dans une moindre mesure, l’humilité peut être un avantage. Se remettre en question en permanence aide à progresser. « Pourquoi ai-je traité ces données de cette manière ? ». « Comment ce collègue aurait-il fait ? ». « Ai-je utilisé la meilleure approche ? ». « J’ai fait des erreurs dans mon traitement, quelle en est l’origine ? Comment ne pas les reproduire ? ».

J’ai d’ailleurs une excellente anecdote sur l’humilité : il y a quelques années, lorsque je débutais, j’ai suivi une formation à PostgreSQL+PostGIS puis me suis perfectionné de mon côté. Je suis rapidement monté en compétences et ma confiance a fait de même (c’est l’effet Dunning-Kruger). J’ai ensuite eu l’occasion de former un client sur cette technologie (en général les formations sont aussi une démonstration de la compétence du formateur). J’ai fait un peu le malin en pensant tout savoir jusqu’à ce que le client me colle sur un sujet hyper spécifique et peu utilisé de PostGIS (une question sur les rasters stockés en Out-DB). J’ai appris par la suite que le client était développeur pour le projet PostGIS et donc qu’il connaissait le sujet à la perfection, et que la formation était surtout destinée à son collègue également présent…

Ma confiance en a pris un coup et mon ego aussi… Mais cela m’a servi de leçon : connaître un sujet ne veut pas forcément dire qu’on le maîtrise parfaitement ni qu’on ne peut pas en apprendre plus.